samedi 5 mai 2018

Ode à mon papi




Cher papi,

Tu ne m’as pas connue, ni moi ni aucun de tes petits-enfants, et même, tu n’as pas connu tes belles-filles ni tes gendres.
Pire encore, tu n’as pas connu ta dernière fille, ma tante Catalina, ni vu partir ma mamie ni deux de tes cinq enfants, parmi lesquels mon père, ton fils aîné.
Ils t’on fait disparaître, sans aucun droit. Tu n'avais que 40 ans.
Nous connaissons de toi ce que nous ont raconté mon père et une de mes tantes qui est encore en vie, et ce que racontent les historiens qui ont écrit sur toi. Tu étais un homme bon, avec des idéaux de justice,  de liberté et de république. Tu étais syndicaliste et maître cordonnier à Inca, où tu as vécu toute ta vie. Ces derniers jours, et j’en suis fière, la Mairie a décidé de donner ton nom à une place de cette ville : Andreu Paris Martorell. On a récupéré ton nom !
On t’a cherché très longtemps, d’abord, ta femme - ma mamie - qui, quand j’avais trois ans mourut d’un cancer survenu peut-être par la douleur de ta cruelle disparition. Pour te retrouver, elle allait partout où on lui disait qu’on avait trouvé quelqu’un, jeté, dans les fossés des chemins des différents villages de Majorque. Je l’imagine dans son désespoir, te cherchant... Elle, qui était enceinte de ta benjamine. Quelle angoisse!
Tes enfants, ils n’ont pu rien faire pour te trouver. Ils étaient très petits, et sur la famille beaucoup d’humiliations sont tombées. La vie s’était endurcie. Ma mamie le jour travaillait dans une usine et la nuit, elle cousait des chaussures à la maison. Mon père fut expulsé du lycée où il allait à l’époque ; il recevait des classes clandestines d’un maître ami à toi et, pour aider la famille, il vendait des journaux dans la rue.
Entre les deux frères et les trois sœurs, il y a eu un grand silence  toute la vie. Ils étaient paralysés par la peur et la douleur. Je n’ai rien su de toi et de ce qui s’était passé jusqu’à mes 17 ans, un jour que j’écoutais  Santiago Carrillo sur “Radio España Independiente”. Je me souviens que ma mère est venue affolée et m’a demandé d’éteindre la radio pour que les voisins ne nous entendent pas. Ma mère – pas mon père -, elle m’a raconté brièvement les faits. C’est à ce moment–là que je me suis éveillée et que j’ai pris position politique avec la gauche. Comme toi.
Après, il s’est passé beaucoup de temps, trop de temps.
Maintenant, depuis 2003, mes cousins et moi, nous avons décidé de continuer te chercher, mais pas seuls, sinon avec les personnes qui forment le mouvement qu’on appelle “Memòria de Mallorca”, dont ta petite-fille Maria Antònia est la présidente. Elle est très courageuse et elle le fait très bien. Peu a peu, nous atteignons nos objectifs: ceux de récupérer les ossements des personnes assassinées des fosses des cimentières où elles ont été jetées.
Nous t’aimons, papi.
Je pense que dans un avenir qu’il est déjà très proche nous te retrouverons et nous te placerons enfin dans le lieu qui te correspond, avec les tiens, dans la tombe familiale où ma mamie et tes enfants ont inscrit depuis 1950 ton nom. En t’attendant.

Catalina París Llompart








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